Conférence sur le sensualisme

La différence entre l’image et la peinture, c’est que la peinture peut être vue par le regard sensible, elle peut être lue aussi comme une image. Mais beaucoup de peintures occultent les propriétés de la matière à l’expression humaine et s’arrête à une représentation imagée d’un réel mentalisé, stylisé décoratif.

La particularité de la peinture, c’est son médium, c’est-à-dire les textures, une matière manipulée par un être humain et qui au final, va présenter une image aux spectateurs.

Nous avons deux regards : le premier regard cognitif et le second regard sensible ou rétinien, le regard cognitif est une anticipation cérébrale, il faut au moins 1/10 de seconde pour produire le modèle de ce que l’individu est en train de voir. Un décalage qui montre que le cerveau compose avec d’anciennes informations, aussi pour voir l’action en direct il doit utiliser le futur et anticiper ce qui est sur le point de se produire.

En tant que spectateur nous sommes d’abord interpellés par l’intelligible, notre cerveau ou mémoire cognitive nous décrit la scène que nous voyons car notre vision rétinienne n’est que partielle, ponctuelle, elle ne perçoit que les ombres, les lumières et leurs déplacements dans l’espace.
La majorité de nos activités sont par conséquent, contrôlées par notre intelligible, notre cognitif. Lorsque nous regardons une œuvre il s’agit d’un acte au premier degré, intentionnel.

Notre regard intelligible nous indique premièrement ce que signifie l’image (peinture narrative, illustrations) I’ histoire qu’elle raconte, la description des formes qui nous sont montrées.
Deuxièmement, notre cognitif nous fait savoir si le spectacle est beau ou laid selon notre critère universel personnel. Lorsque nous regardons une image notre attention ne dure que trois secondes, par conséquent nous risquons de passer devant une image et de ne pas prendre le temps de laisser
agir notre sensibilité, notre imaginaire parce que notre intelligible en a décidé autrement. L’invasion de l’image dans notre société rend encore plus difficile l’appréciation esthétique (la définition du dictionnaire étant : science du sensible, qui a la faculté de sentir. À l’opposé l’expression métaphysique : qui signifie science de la raison).

La peinture est une image qui se distingue par sa particularité à être réalisée par un être humain. Elle peut présenter une image intelligible avec des formes, décorative. L’apparence de cette peinture peut être utile : publicité et communication, illustrations etc. Mais sous l’apparaître, chercher l’être.

Donc l’image qui nous est présentée peut être plaisante à regarder, si elle correspond à nos connaissances. Et nous risquons de passer à côté de l’émotion pure, de l’écoute des réactions de notre corps et de nos sens.

Le regard pur est celui qui est débarrassé d’idées reçues, d’intentions, en un mot de trop de connaissances.

Une œuvre doit nous renvoyer à notre vécu, à notre inconscient, à notre mémoire émotionnelle, par conséquent l’image qui nous est présentée ne doit pas être trop consensuelle ou trop dirigiste, elle doit faire allusion à un possible réel, à l’humain, afin que je puisse m’y représenter et m’y impliquer.
Pour que cette scène devienne réaliste il faut la revivre avec les sens (en l’occurrence avec une vision rétinienne) par conséquent pour que la peinture devienne objet de création, d’imagination et d’émotions, il aura fallu qu’elle soit réalisée par un être humain, (gestuelle, touche,) qui avait un
regard pur (regard rétinien) détaché de toute intention, sans le souci de l’apparaître, de la finitude.

Par conséquent la qualité d’une image-peinture sera dans un juste équilibre entre le l’intelligible et le sensible, l’intelligible pouvant être réservé pour attirer l’attention du spectateur, en espérant que celui-ci ira de la forme vers le fond.

La peinture a été utilisée longtemps comme moyen de communication, de distraction, depuis l’époque moderne la peinture expressionniste a été distinguée, mais la majorité de ce qui est présenté est un art appliqué, décoratif, ce qui rend difficile la lecture de ces œuvres d’une manière
sensible.

La peinture rétinienne, qui a été mis en avant par les impressionnistes, que l’on pourrait aussi faire entrer dans l’expressionnisme, nous paraît correspondre plus à la définition du sensualisme .

Le sensualisme est une doctrine fortement influencée par l’empirisme qui affirme que les sensations sont à l’origine de toutes nos connaissances. Il s’est développé notamment en opposition au rationalisme cartésien. Il affirme non seulement qu’ il n’y a pas d’idées innées, qu’il n’y a pas non plus
de capacités mentales innées, pour le sensualisme sensations et connaissances sont coextensives et toutes connaissances, toute réflexion, tout jugement, tout acte d’imagination n’est en dernière analyse qu’une sensation mémorisée, modifiée, associée ou comparée avec d’autres sensations. Penser c’est sentir, les sensations sont définies comme des impressions qui existent en nous à l’occasion des objets extérieurs.

Nous pouvons être émus par une œuvre d’art si nous pouvons nous projeter dans celle-ci, nous pouvons entrer en empathie avec l’auteur et devenir ainsi l’acteur, à condition que celui-ci ait œuvré avec authenticité et sincérité, c’est-à-dire dirigé principalement ses gestes et son déplacement en harmonie avec ses émotions.

Les règles du regard pur sont celles perçues par nos sens, la circulation de la lumière, les tensions des ombres, les nuances de dégradé de ton et de lumière, la perception de signes abstraits, la vision rétinienne doit être détachée de la vision intelligible.

Le spectateur entrera en empathie dans une œuvre réalisée avec les mêmes moyens impulsés par un regard naturel sur le réel c’est-à-dire la gestuelle de l’artiste suivant le mouvement de la lumière d’avant en arrière, de gauche à droite, du fonds vers la forme, s’excluant de toute tentative de
représentation formelle ou de signification pouvant interrompre un comportement naturel.

Pour entrer dans une toile, il est préférable d’essayer d’oublier le signifiant, l’apparence, l’idée.

Pour l’artiste aussi il est important de ne pas commencer sa réalisation, par un concept, des pensées trop fortes, avec une intention très déterminée d’exprimer un message, des sentiments ; enfin tous les éléments qui pourraient être transmis par le langage ou la littérature.

Pour entrer en empathie le spectateur se laisse porter par le geste, par les touches de l’acteur qui a lui-même laissé des traces de ses déplacements harmonieux, parce que dirigés par les émotions retenues dans sa mémoire traumatique façonnée empiriquement. Contrairement aux critères
imposés par les décideurs de l’art (contemporain) qui met en avant, même en peinture, le concept, ce médium permet d’exploiter la particularité de montrer le geste. Dans l’expressionnisme il n’est pas demandé de voir, de penser de savourer le produit, mais de revoir, identifier et, si l’on peut dire, de jouir le mouvement qui en est venu là. « Roland Barthes ».
Les différents signes qui apparaissent sur un tableau (tache, touche, les lignes, traces de l’outil…) nous révèlent le comportement de l’acteur (et si il y a un acteur) sa sincérité, sa virtuosité, ses doutes, hésitations, intentions, intuitions, maladresse, séduction…

Pour entrer en empathie avec I’ artiste à travers son oeuvre, il a fallu un travail d’entropie, c’est-à-dire de recherche plus ou moins lente par la manipulation des matières, avec une gestuelle la plus naturelle possible, et aussi avec une réflexion à distance, permettant de se détacher de trop de
signifiant et de rester dans le flou et de respecter le plus souvent possible la vision rétinienne, de laisser le tableau se construire peu à peu, en posant et en retirant successivement de la matière, afin d’obtenir des effets de textures qui vont réaliser par analogie une œuvre visuelle, réaliste mais pas trop figurative afin de laisser le spectateur créer son image. C’est aussi un moyen, par cette démarche de favoriser l’imagination matérielle : qui creuse le fond de l’être qui trouve la source de ses créations dans l’intimité de la matière, en opposition à l’imagination formelle qui est issue du concept, les idées et des pensées.

Créé c’est faire ressurgir des souvenirs émotionnels, à travers une longue manipulation de la matière, et la lente formation de formes.

Nous pouvons prendre du plaisir en regardant un beau spectacle en lisant une belle histoire, à vivre dans un appartement bien décoré, selon nos goûts, en s’amusant, en se distrayant, mais il est important de ne pas faire la confusion entre sentiment et émotions.

Nos sept émotions de base sont : colère, dégoût, peur, mépris, tristesse, surprise et joie. Lorsque nous parlons d’esthétique, nous pensons à des sentiments positifs, notamment nous attendons la beauté, alors que nos émotions inconscientes nous portent dans un État de sublimation, de création et d’imagination. C’est ce que nous devons retrouver dans une œuvre forte et pour cela éviter de trop nous laisser porter par l’apparence et l’évidence. Une œuvre d’art peut nous transformer, à condition de nous laisser le temps d’y entrer et que celle-ci ait été réalisée par un être humain qui lui même ait eu un comportement naturel et authentique.

Le vrai plus que le beau.
L’image finale d’une peinture peut être belle, intelligible ou décorative, narrative etc… mais la réalisation de l’art n’est pas issue d’idées, de la raison, mais du chaos, de l’abime, le sans fond à quoi il donne forme (trouver l’essence des choses). Donner forme au chaos, donner sens à la forme c’est la représentation du désir et de l’affect, et recherche et instauration de sens dans la forme ou recherche d’une forme donnant un sens nouveau. La forme c’est le fond qui monte à la surface.

L’art peut être le produit de l’esprit, de la raison, du rationnel. L’on a cru pendant longtemps que c’était aussi le résultat d’une âme, ce qui sous-entendait que ces esprits et ces âmes étaient aux naissances différentes, meilleures et même géniales. La véritable création, l’œuvre d’art qui procure
des émotions, et développe notre imaginaire, est la réalisation d’une intelligence sensible, construite parles émotions, fabriquée par un corps en recherche. Il n’y a pas séparation du corps et de l’esprit, sans le corps qui produit du sensoriel, sans nos sens qui nourrissent notre intelligence, il n’y a pas de création et nous ne pouvons réaliser d’œuvre d’art touchant nos émotions.

Il n’y a pas d’artistes de génie ne faisant que des chefs-d’œuvre il y a des artistes authentiques avec lesquels nous avons plus de chances de trouver une œuvre qui nous émeuve réellement à condition de faire la différence entre l’apparaître et l’être.

« L’art majeur ou la création sont anti conceptuels, les arts majeurs passent par l’intelligence du sensible.
La création ne peut passer que par l’incarnation. Pour moi, le départ c’est le corps grâce auquel je perçois,
je mesure, laisse mon empreinte. Le corporel, le tactile sont donc la source première de communication,
de connaissance et de compréhension. »
Adriana Simotova :
«La création n’est pas dans l’objet mais dans l’événement ou le mystère dont II garde la trace
ou détient le reflet. »

L’objet d’art est perçu comme changeant incessamment, il faut saisir le regard du spectateur (image-apparence) par le rythme, la circulation de la matière lumière qui est égale à l’empathie. Il y a confusion entre l’image et l’acte créateur d’images envahissantes et jetables.

Vous ne verrez jamais la même chose quand l’œuvre est bonne c’est le contraire de la décoration qui tend
au mono signifiant.

Un artiste c’est un artisan qui insiste, la créativité c’est l’expression personnelle-originale-singulière, qui ne peut être issu que de l’inconscient (ma mémoire du vécu), mémoire traumatique construite au jour le jour ne retenant que les traces émotionnelles qui deviendront des sentiments conscients.
Ses émotions vécues avec les autres et en relation avec les autres, me permettront de découvrir et d’inventer mon devenir.