Article parut dans Art Actualité Magazine
Il y a beaucoup d’artistes mais très peu de peintres », disait Joan Mitchell.
Assurément, Jean-Yves Guionet est peintre. Armé d’une belle écriture hésitante, riche, têtue, il fragmente, éclate, déforme les formes, les charge de nombreuses entités. Aujourd’hui, le corridor du cadre d’entreprise où Jean-Yves Guionet déambule avec succès pendant de nombreuses années, en lisière du rêve, est loin derrière lui.
Exaltés par cette volonté fébrile que donnent seulement les vraies ruptures et les vieux rêves non accomplis, Jean-Yves Guionet entre tard dans la peinture. Avec urgence, sans trop de références, sans tenir compte de ce qui se fait aujourd’hui, de la pratique des mouvements qui se succèdent, des modes qui disparaissent – installateurs éphémères, conceptuels -, Jean-Yves Guionet s’attache avec noblesse et humilité à des armes aussi anciennes que la toile, les pinceaux, les médiums, et il travaille, il cherche, cherche à comprendre, retrouve les sources enfouies de sa sensibilité, sans position ni trop d’idées sur les raisons d’autres peintres.
Cette urgence ne néglige pas le caractère, l’écriture, la mémoire du réel, la violence de la touche et de la couleur. Jean-Yves Guionet modèle une matière habitée, une mémoire des images du plaisir, des pulsions emportées. Ce fulgurant et patient parcours d’identification et d’épuration des motifs de son univers aboutit aujourd’hui à ces toiles, de grandes plages d’aplats dans la matière chargée desquelles s’inscrivent de robustes figurations – principalement des nus – soutenues par des coups de pinceau en noir qui donnent beaucoup de caractère à ses images.
Ses nus rocailleux et baroques recèlent une charge émotionnelle et sensuelle énorme, expriment une rare jouissance des formes, les couleurs et l’écriture viennent sous ses brosses d’une façon remarquablement intuitive ; et ses aplats autour de ses figures sont des plages de silence, des espaces de méditation et d’arrêt qui donnent déjà une force immense à la grammaire frontale du peintre, une grammaire de l’instinct.
La connaissance, dit-il, vient en peignant. Avec son talent, Jean-Yves Guionet a déjà compris de quelle manière sa sensibilité expressionniste, en se dégageant du langage académique des fuites, pouvait articuler une imagerie aussi implacable qu’énigmatique.
Renforcé par cet horizon cristallin, Jean-Yves Guionet n’a pas peur de faire appel à une palette de haute gamme, des rouges, des orange violents, quelques gris et mauves, il ne craint pas de charger, martyriser et érafler la toile , s’installant comme n’importe quel peintre ancien devant le modèle, exploration de toute la vie qui lui est offerte, le corps, calice, métier des derniers rituels, acte d’amour, corps à corps du spirituel.
A. Tiphaine
Pour que le spectateur soit aussi acteur
Les fauves, le mouvement Cobra, l’art brut et l’expressionnisme allemand nourrissent les explorations de Jean-Yves Guionet, au grand dam des valeurs classiques et académiques.
« Peintre de peinture » avant tout, il travaille d’abord les couleurs, le rythme
et le mouvement. Le tracé et la précision des lignes lui importe assez peu :
il fragmente, éclate, extrapole les formes et les déformes à loisir, les chargeant
au passage de multiples entités.
Guionet s’est fait, en particulier du nu, robuste et baroquement sensuel,
l’un de ses violons préférés. Dans ce registre comme dans les autres,
il s’impose de dépasser le plus possible les contraintes et tente d’approcher
de ses limites pour atteindre à la plus grande authenticité personnelle.
Son intervention mentale laisse aller le plus possible son propre inconscient
servi par la gestuelle et la violence des rapports dans les couleurs primaires
et ne rend pas le paradoxe cher à Dubuffet :
« Plutôt que de modifier l’œuvre, modifier le regard ».
En ne recherchant pas à priori à privilégier la beauté comme le but suprême, Guionet la laisse venir et s’installer dans l’action et la sincérité. Elle y trouvera naturellement sa place au cours de l’exécution, dans une vision lyrique, l’alchimie et l’intensité des couleurs.
Jean-Louis Avril